Traverser la frontière, de Ljubljana à Pula en train

UN VOYAGE DANS LE TRAIN DES ARÈNES, COMME À L'ÉPOQUE DE LA YOUGOSLAVIE
, LORSQUE LA SLOVÉNIE ET LA CROATIE NE FORMAIENT QU'UN SEUL PAYS.

- texte et photos de Giacomo Frison et Glorija Blazinsek (altripiani.org), traduit par Glorija Blazinsek / octobre 2017

Pour toute aventure, vous devez partir avec des sacs à dos légers.
Nous voilà donc prêts à voyager à nouveau avec un esprit libre et nos passeports, en essayant de garder nos pieds au chaud dans ce vieux wagon.
Le train n'est pas seulement un moyen de transport pour se déplacer d'un endroit à un autre, bien sûr il vous emmène quelque part, mais il facilite la réflexion, la créativité et la fantaisie vers de nouveaux projets.
Nous n'allons pas si loin, juste de l'autre côté de la frontière, en Slovénie, dans ce poumon vert que, si vous regardez la carte, vous reconnaîtrez à sa forme qui rappelle celle d'un poulet au long cou.
Ici aussi, les espaces de temps sont étendus, les souvenirs sont différents, les gens savent encore préserver les relations humaines et les secrets, tout comme ils savent garder la nature intacte.
Pour nous, la Slovénie a toujours été un territoire riche en forêts, peu construit, sans bâtiments non autorisés, un endroit où les gens sont pour la plupart réservés, proche de chez eux et semblable à l'Autriche, mais pas si semblable parce qu'il est contigu au monde slave, dont il a toujours voulu se distinguer, même s'ils étaient profondément liés par différents chapitres de l'histoire.
La Slovénie est un petit pays, mais ses conditions climatiques sont liées à la variété de son territoire, ce qui lui confère une grande diversité.
Dans la région du Karst et dans la zone de montagne, le temps en cette saison est évidemment froid, tant à la frontière nord avec l'Autriche que dans les Alpes dinariques à la frontière avec la Croatie.
Pour toute aventure, vous devez partir avec des sacs à dos légers, mais n'oubliez jamais une veste technique en gore-tex et une paire de chaussures confortables et polyvalentes.
Ljubljana est un petit bijou, une capitale de mémoire austro-hongroise, avec ses toits rouges, ses façades baroques et ses promenades le long de la rivière Ljubljanica. La ville est très verte, elle a d'ailleurs été récemment déclarée "capitale verte européenne". Elle est jeune, adaptée à la marche et au vélo. Parmi les labyrinthes de rues et les petites places, elle offre toute la facilité pour vivre la culture et l'efficacité slovène pendant quelques jours.




"Hia hia hia hooo", le salut des bajters.
En partant de Ljubljana et en traversant une multitude de petits villages bien ordonnés, on peut facilement atteindre les montagnes en une heure de bus.
Nous sommes allés à Velika Planina (la Grande Montagne), un plateau à 1600 m que l'on peut atteindre avec deux heures de marche ou avec un téléphérique qui fonctionne toute l'année. Ici nous avons trouvé les couleurs de l'automne, dans la vallée il pleuvait, mais au-dessus des nuages le soleil a gagné avec sa brillance et la vue panoramique sur la montagne Skuta, le Grinttavec, l'Ojstrica et d'autres montagnes de plus de 2000m était époustouflante. Tout était parfait.
Dans un bon style Altripiani, nous avons rencontré une dame âgée, Helena. Elle était chétive, mais pleine d'énergie bien qu'elle ait 70 ans. Elle a tout de suite voulu que nous l'aidions à monter les provisions dans la montagne. Elle habite à Kamnik, mais elle dort souvent sur le plateau, dans un petit pavillon en bois de mélèze. Pour nous réchauffer, nous avons trinqué avec quelques shots de Pelinkovac. A dix heures du matin !
Elle a fait connaissance avec nous et a reconnu en nous des jeunes gens curieux et intelligents. Elle n'a cessé de nous sourire et de nous serrer dans ses bras alors que nous marchions ensemble vers le point le plus élevé du plateau afin de signer le livre du sommet et de prendre quelques photos pour se souvenir de ce moment.
"Hia hia hia hooo" a crié Helena : c'est ainsi que les bajters (les gens qui vivent ici) se saluent. Elle a chanté une chanson et ensuite, parmi les histoires et les anecdotes, elle nous a raconté qu'elle travaillait pour une entreprise de bois et qu'elle a vécu à Raša (Istrie) pendant dix ans.
Nous avons frappé à une petite porte en bois sombre, des amis qui préparaient le déjeuner nous ont ouvert. Nous avons trinqué à nouveau !
On nous a dit que le lendemain aurait été un jour de fête : les bergers qui, l'été, paissaient sur le plateau, donneront les clés aux bajters pour qu'ils puissent s'occuper de l'alpage pendant l'hiver.
Le gulash bouillait dans la casserole et les hommes étaient partis cueillir des champignons.




Des cèpes au poisson
Passer des cèpes slovènes aux homards du marché aux fruits de mer de Pula n'est pas une chose difficile.
En effet, dans ce voyage, nous avons décidé de traverser et de relier deux territoires qui représentent très bien la proximité entre la montagne et la mer, partageant beaucoup de nature et de forêts.
La Slovénie et l'Istrie sont également unies par un train à voie unique. Un train historique qui, au siècle dernier, était une locomotive à vapeur. Il était appelé "Arena" ou "le train vert", d'autres l'appelaient Istarska pruga, c'est-à-dire la ligne ferroviaire d'Istrie qui relie Divača à Pula en 122 km. Le développement de ce chemin de fer suit la première révolution industrielle et les nécessités agricoles de ces terres. Il était nécessaire de rompre l'isolement qui caractérisait le centre de la péninsule d'Istrie et, avec la ligne Vienne-Trieste, il a permis de créer des liens et de développer différents secteurs industriels tels que le secteur naval, la construction et la mécanique.
Une ligne ferroviaire qui suit le destin de ces régions frontalières. Lancée le 18 août 1876, elle a d'abord appartenu aux chemins de fer d'Istrie, puis est passée aux chemins de fer italiens (sous le compartiment de Trieste) jusqu'en 1945. Entre les années 50 et 70, la ligne a appartenu à la principale société de transport de Ljubljana et au milieu des années 90, après la déclaration d'indépendance de la Croatie et de la Slovénie, elle a été divisée entre les chemins de fer respectifs des pays qui étaient responsables de ce territoire. Un chemin de fer qui a toujours été exclu du reste des voies croates et qui a souvent été remplacé par des bus locaux.
Au milieu des années 80, la ligne ferroviaire a atteint son apogée avec 900.000 passagers en Istrie. À cette époque, le transport sur rail avait ses avantages compte tenu de la crise pétrolière et du fait que le réseau routier était obsolète.
Le train "Arena" entre Pula et Ljubljana était le moyen de transport des hommes d'affaires avec tout le confort à bord : wagons climatisés, journaux quotidiens et buffet inclus dans le prix.


Ervin le conducteur de train
Après deux changements et cinq heures de voyage, nous sommes passés de la verte Ljubljana à la romantique Pula. Ervin, le conducteur de train, travaille sur cette ligne depuis trente-cinq ans. Il adore le paysage, surtout celui qui suit le contrôle des passeports à la frontière, lorsque le train - d'abord lent et silencieux, puis toujours plus rapide et plus convaincu - descend vers Buzet et que la vue sur toute l'Istrie est époustouflante. Ils travaillent toujours en binôme dans le train et tout le monde se connaît : les conducteurs de train, les chefs de gare et les policiers, et chacun d'entre eux remplit son rôle avec dévouement et respect.
Le train résiste et est bien utilisé, les passagers montent et descendent, la vapeur a été remplacée par un moteur diesel, mais les roues cliquettent comme il y a cent cinquante ans, les freins grincent et le conducteur se fait entendre avant les passages à niveau.
J'ai eu l'impression d'être assis dans une salle de cinéma et de regarder un long film, qui vous laisse cependant du temps pour réfléchir.
Depuis les fenêtres, nous assistions au spectacle de la nature, douce et aigre à la fois : le Karst, la pierre, la montagne. Et encore la forêt, les bois et les arbres qui changeaient de couleurs se fondaient dans le paysage tandis que le train les frôlait.
Ils sont là, les policiers slovènes, au milieu d'un immense champ, près de la frontière, appuyés sur la jeep et observant le train qui se dirige vers le poste de contrôle.
À la petite gare de Buzet, nous avons changé de train. Les noms des villages suivants ressemblaient à ceci : Roč, Lupoglav, Hum u Istri, Borut, Pazin, Sv. Peter U Šumi, Kanfanar, Galižana, Pula.
Le conducteur du train souriait, annonçant chaque arrêt où nous trouvions toujours le chef de gare qui sortait de son bureau ou d'une pergola fleurie. Une figure qui n'existe presque plus en Italie, mais qui a survécu dans ces terres.
L'Europe de plus en plus connectée n'a plus de chefs de gare moustachus, ni minces, ni longilignes, ni ronds, avec ou sans chapeau, avec ou sans cravate, avec un disque de signalisation vert ou un petit drapeau rouge.
Quelqu'un qui vous souhaite une bonne journée ou un bon voyage, qui dirige les passagers incertains vers la bonne direction.



Le train roulait vite
Nous avons d'abord vu les murs secs faits de pierres d'Istrie et les clochers de style vénitien émergeant des collines vertes, puis le vert est devenu jaune des champs et nous avons pu apercevoir la ligne de mer bleu clair. C'était notre destination !
Nous sommes descendus du train et avons remercié et salué le conducteur du train qui devait repartir pour le voyage à l'envers dans quelques minutes.
Pour nous, une nouvelle aventure est sur le point de commencer : l'arène de Pula, l'arc des Sergii et un plongeon dans l'Adriatique.